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Bandeau théière calli

Bandeau théière calli

samedi 20 juillet 2013

Perdre son chemin (mílù) 迷路



C'est un recueil de courtes nouvelles écrit en 1991 par A Cheng (Editions de l'Aube), traduit en 1996 par Noël Dutrait, aidé, pour certains passages délicats, par MM. Jiang Mingbao et Hu Sishe.

Je viens de refermer le petit livre et j'en garde une sensation unique. C'est une chance que de tomber sur ces écrits mêlant poésie et réalisme. Plus qu'un livre, ces nouvelles constituent des instantanés de sensations immédiates, auditives et visuelles, à des moments que personne d'autre que A Cheng n'aurait eu l'idée de graver sur du parchemin. Une écriture qui va a l'essentiel, au ressenti pur, comme le ferait le pinceau du calligraphe aguéri.

Les nouvelles :

  • Perdre son chemin
  • Un banquet
  • La couchette
  • L'idiot
  • Au fil du chemin :
     Le ravin
     Le pont de corde
     Le bain
     Forêt profonde
     Montagnes enneigées
     Fond du lac

De prime abord, le texte m'a semblé très brut. Ce n'est qu'après plusieurs pages que je me suis rendue à l'évidence : il s'agissait là d'une oeuvre majeure d'un impressionniste de l'écriture. En quelques touches, A Cheng nous dévoile une toile qui représente un moment choisi de l'âpre vie rurale. A la manière d'un ethnographe, il réussit à faire ressortir les caractères saillants de situations quotidiennes ou de rencontres au bord d'un chemin. Le dénuement même des personnages converge avec la rigueur de la condition dans les campagnes pour nous présenter une famille, la nature, comme une universalité esthétique où la rugosité même fait ressortir l'extraordinaire et la simplicité de chaque petit moment de vie. Ceci est particulièrement saisissant dans la 2ème partie des récits "Au fil du chemin" (ma préférée : "Le pont de corde").

Extrait (dans : L'idiot) : 

"Mal à l'aise, je regardai Xiao Wen. J'allais ouvrir la bouche quand Yan Xing demanda soudain :
- Qui a fait cette calligraphie ?
Xiao Wen avait baissé la tête quand je m'étais levé. Elle la releva aussitôt et dit joyeusement :
- C'est mon père.
- Elle est belle, déclara Yan Xing en rougissant un peu.
Plissant les yeux, Lao Li but une gorgée d'alcool puis dit, les lèvres brillantes :
-Hum, cela fait déjà pas mal d'années.
- Le restaurant à côté de notre travail, dit Xiao Wen, eh bien, c'est mon père qui a peint son enseigne.
Yan Xing poussa une exclamation admirative en regardant Lao Li. Celui-ci leva ses baguettes et l'invita à manger. Toute contente, Xiao Wen évoqua ensuite un certain nombre d'enseignes que son père avait peintes. Yan Xing regardait Lao Li avec une admiration grandissante.
Ce dernier leva sa tasse vers moi en signe de défi :
- Et si tu nous faisais la critique de cette calligraphie ?
Plaisantant à moitié, je répondis :
- Je suis incapable de porter un jugement sur ta théorie des habits.
- Moi, je vais faire cette critique, s'écria Xiao Wen en agitant les mains. Je sais commenter les calligraphies de mon père.
- Toi ? demanda Yan Xing. Quand tu me laisses un mot, je n'arrive même pas à comprendre ce que tu as écrit.
Accusée, Xiao Wen se fourra dans la bouche la pointe de ses baguettes, puis répondit en se tortillant sur sa chaise :
- Tu n'y connais rien, c'est du style cursif !
- Eh bien, il ne faudra pas m'en vouloir si un de ces jours je me trompe d'endroit pour venir à ton rendez-vous.
Tout le monde éclata de rire."

A Cheng (阿城) est connu pour sa "Trilogie des rois" dont "Le roi des échecs" (1984), qui, à sa parution, a bousculé le milieu littéraire chinois. L'écrivain est né à Beijing en 1949. Dans la préface du "Roi des Echecs", A Cheng se présente à sa façon facétieuse : "Je m'appelle Acheng, nom de famille : Zhong... Né le jour de la fête de Qingming, je suis arrivé comme par étourderie au moment où les chinois célébraient leurs morts... Six mois plus tard était fondée la République Populaire de Chine. Ainsi peut-on dire que j'appartiens à l'ancienne société..."

Commentant le prénom que lui ont choisi ses parents, dont il a fait son nom de plume (en deux caractères séparés), il explique que ce prénon, Acheng, était très ordinaire mais qu'il traduisait l'intention de ses parents de commémorer la réussite de la stratégie révolutionnaire de Mao Zedong qui consistait à faire encercler les villes par la campagne. C'est qu'après une enfance tranquille parmi des intellectuels du cinéma, en 1966, lorsque commence la révolution culturelle, ses parents et lui sont envoyés à la campagne ; âgé de 17 ans, il faisait partie des "jeunes instruits" (知青) qui y passèrent un peu plus d'une décennie.

En 1979, A Cheng rentre à Beijing. Son entourage l'encourage à continuer de raconter des histoires, choses qu'il sait fort bien faire. Puis il décide de se lancer dans l'écriture de scénarios. La version cinématographique du "Roi des échecs" sort en 1986 ; c'est une réussite.

Modeste et simple, A Cheng se décrit ainsi : "En 1979, je suis rentré à Pékin où je me suis marié. J’ai trouvé un travail, j’ai eu un enfant… Une telle expérience ne dépasse pas l’imagination d’un Chinois moyen. J’ai vécu comme tout le monde, et je vis comme tout le monde, à la seule différence près que j’écris. Pour subvenir aux dépenses familiales, j’envoie les textes là où on les imprime... Comme un menuisier qui part chaque jour au travail, je suis un artisan. Je suis comme tout le monde, je n’ai rien de différent."


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